Identités diasporiques: une poétique de la relation et de la dispersion
Identités diasporiques: une poétique de la relation et de la dispersion
Par Marie-Hélène Lemaire
L’outil Mouvements: RELATIONS est conçu par l’équipe de l’éducation à la Fondation PHI afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par l’exposition RELATIONS: la diaspora et la peinture.
Cet article est complémentaire à la vidéo Mouvements: RELATIONS – Capsule «Identité diasporique» narrée par Marie-Hélène Lemaire.
L’exposition RELATIONS: la diaspora et la peinture présente les œuvres de 27 artistes contemporains issus de la diaspora. Ce mot puise ses racines dans le grec diaspeirein, qui signifie «disséminer» et s’applique aux populations dispersées à partir de leur lieu d’origine. Cette migration peut être forcée ou volontaire. Certaines personnes sont contraintes de quitter leur pays natal telles que les exilés et les réfugiés, pour cause de guerre, de violation des droits de la personne, de crise économique, de désastre écologique ou autre. D’autres font le choix de migrer pour des occasions de travail, d’éducation ou de changement au cours de leur vie.
Shanna Strauss, Bee-keeper (2019)
Transfert photo, acrylique, tissu, bois trouvé, 134,6 × 91,4 cm
Avec l’aimable permission de l’artiste
IDENTITÉ DE LA DISPERSION
L’œuvre Bee-keeper de l’artiste tanzano-américaine Shanna Strauss est un portrait de Bibi, sa grand-maman. Cette dernière est une historienne-apicultrice, gardienne de la mémoire. Elle chante et raconte l’histoire de Leti, une guerrière qui s’est battue aux côtés des hommes contre les colonisateurs allemands de la Tanzanie. Bibi propose la métaphore de la ruche comme autre manière de transmettre l’histoire. Ses récits pollinisent les liens de toute une communauté autour d’une remémoration des ancêtres: ceux-ci s’incarnent dans sa voix, ses cadences et ses modulations, et dans son corps, fort et vibrant, qui relate toujours un peu différemment, à chaque occasion, et au fil de ses souvenirs. Le portrait de Strauss exprime très bien cette résilience de sa grand-mère: avec sa posture à la fois monumentale et intime, ses couleurs chaudes et éclatantes, et le jeu des lattes de bois recyclées et juxtaposées, qui semble faire avancer Bibi jusqu’à nous.
IDENTITÉ RELATIONNELLE
Édouard Glissant applique l’image du rhizome de Deleuze et Guattari [1] au principe d’identité diasporique pour théoriser son idée d’identité relationnelle, qui s’oppose à l’identité à racine unique. L’identité à racine unique est stérile et isolée, alors que l’identité-rhizome est à racines multiples, chacune allant à la rencontre d’autres racines, pour faire fructifier et transformer les êtres [2].
Firelei Báez, Oolio Ciguapa (mass pedigrees of masterpieces unsold), 2018
Arrachées, déracinées, traînées, jetées. Tends-moi tes mains, tes bras. Ramifiées, entrelacées. Tu me portes en toi, je te porte en moi. Nouées, à genoux. Ta sève amniotique s’écoule sur chaque parcelle de ma peau, dans chaque sillon de mon écorce. Nos chevelures noires, feuillages. Tes yeux, naissance de mes racines, mes yeux, poussée de tes branches. Je suis là. Tu ne tariras pas.
IDENTITÉ AQUEUSE
Théoricienne de la corporéité et de l’eau, Astrida Neimanis propose une subjectivité féministe, irriguée. Elle imagine «une figuration revigorée du sujet féministe en tant que masse d’eau. Celle-ci est posthumaniste et matérielle, à la fois réelle et désirante, et s’accorde de manière sensible à d’autres corps aqueux — à la fois humains et plus-qu’humains — au cœur des flux mondiaux politiques, sociaux, culturels, économiques et coloniaux du pouvoir planétaire [3].»
Rick Leong, Wild Willow (2019), huile sur toile, 243,8 x 182,9 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste et Bradley Ertaskiran; Gold Stream (2019), huile sur toile, 243,8 x 182,9 cm. Collection de Dale et Nick Tedeschi
Le bleu baigne tout. Bleu du ciel, bleu de l’eau. Feuillages gorgés, mousses irriguées, devenant ruisseau. L’heure bleue: moment de tous les possibles, de toutes les métamorphoses. Ma vue crépuscule perçoit un loup hurlant à la lune, ses pattes deviennent racines, sa tête, floraison. Paysages aqueux, mémoire sous-marine, paysages canadiens, rêves de porcelaine de Chine.
Explorez l’exposition avec cette idée d’identité diasporique en tant qu’identité hybride et relationnelle. Quelles peintures illustrent bien ce concept, et pourquoi?
Les artistes de la diaspora mettent de l’avant une identité comme acte de résilience afin de résister à une identité stéréotypée par la culture hégémonique. Décrivez comment certaines œuvres dans l’exposition illustrent cette idée.
[1] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2: Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980.
[2] Édouard Glissant, Poétique III: Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990.
[3] Astrida Neimanis, «Feminist subjectivity, watered», Feminist Review, no 103, 2013, p. 23.