Ce que l’on peut percer: la pellicule, métaphore chez Belin et Mosse
Ce que l’on peut percer: la pellicule, métaphore chez Belin et Mosse
L’outil pédagogique Mouvements: Mosse/Belin est conçu par l’équipe de DHC/ART Éducation afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certains concepts clés explorés par les expositions Surface Tension de Valérie Belin et The Enclave de Richard Mosse. Ces concepts sont la vérité/tromperie, le corps, le médium, la pellicule. Cette semaine nous présentons le quatrième essai de la série qui explore la notion de la pellicule.
Considérations: la pellicule
Dans les années 1880, l’arrivée du rouleau de pellicule photographique a bouleversé la pratique de la photographie amateure en permettant à une masse de consommer l’image par la production plutôt que par sa simple consultation. Paradoxalement, la pellicule, en même temps qu’elle a ouvert la porte à une « démocratisation » du médium dans ses usages quotidiens, est devenue un outil incontournable pour les photographes professionnels, notamment pour les photoreporters toujours plus avides de procédés qui facilitent leurs déplacements et leur permettent de se concentrer sur la capture des images plutôt que sur leur développement. Facilité d’exécution sera maintenant le mot d’ordre de la photographie. Avec le support-pellicule, la photographie se prépare à recouvrir toutes les surfaces possibles: le panneau publicitaire, le livre, le journal, l’écran, le babillard, le mur de la maison, la cimaise du musée.
Alors qu’affirmer que notre époque glorifie la surface (et le superficiel) est devenu lieu commun, la pellicule offre une métaphore tout aussi probante de l’expérience du contemporain qui évacue certaines des connotations plus négatives associées à la surface. Alors que la surface est une barrière solide, la pellicule évoque la porosité d’une membrane, d’une peau. Cela implique qu’il y a potentiellement quelque chose d’autre à révéler derrière la photographie, un champ de possibles que l’on peut percer mais qui peut aussi nous percer – ce à quoi Barthes touchait lorsqu’il parlait, dans La chambre claire, du punctum de la photographie.
Dans l’œuvre de Belin, la pellicule se comprend comme membrane de la société de consommation, comme épiderme vernaculaire ; c’est la cire appliquée sur les fruits d’une corbeille achetée, la couche de peinture des masques photographiés, l’huile appliquée sur le corps des culturistes, la transparence des fleurs superposées sur les portraits de femmes, l’emballage d’un sac de croustilles – et le film gras que ces dernières laissent sur les doigts. Chez Mosse, la pellicule Aerochrome est évidemment utilisée dans le processus de création des images, mais elle agit également comme une sorte de peau entre le regardeur et la photographie, qui lisse ce qui est vu tout en pointant la douleur qui se cache derrière l’image.
Qu’évoque pour vous l’utilisation de la pellicule photographique? Avez-vous des souvenirs rattachés à la pratique de la photographie argentique?
La certaine lenteur imposée par l’emploi de l’analogique chez Mosse et le travail méticuleux en studio de Belin va à l’encontre de l’impératif de la rapidité de production et de circulation de la photographie en régime contemporain. Alors que photographes professionnels comme amateurs sont maintenant chargés de nourrir un système médiatique toujours plus assoiffé de contenu, les deux artistes font l’apologie d’une certaine lenteur photographique. Pour vous, quels sont les espaces idéaux pour faire la promotion d’un regard plus éclairé sur la photographie, pour prendre le temps de regarder réellement la photographie?
Daniel Fiset
DHC/ART Éducation